Peut-on être heureux sans le savoir ? acte 1
Nous nous trouvons dans le Jardin d’Epicure, son école philosophique. C’est la fin d’un cours, durant lequel Epicure enseigne comment atteindre l’ataraxie. Soudainement, Schopenhauer surgit de nulle part.
Schopenhauer : (se dresse fièrement face à Epicure et lui annonce)
- Bonjour mon cher ami. Tout d’abord, je vous prie de m’excuser pour cette prompte arrivée. Je me tiens devant vous aujourd’hui pour vous faire partager ma thèse sur le bien-être.
Epicure : (friand d’être le spectateur de la pensée de son ami)
-Bonjour cher Schopenhauer. Vous ne me dérangez point, je viens tout juste de mettre un terme à mon cours sur la sur-exploitation très excessive du bonheur. À présent, joignez-vous à moi. Votre annonce attise ma curiosité.
Schopenhauer : (s’assoit à côté d’Epicure)
-Merci !
Schopenhauer se lança. Le temps passa, cela faisait une bonne heure que Schopenhauer énonçait sa thèse.
Schopenhauer : (essoufflé par ce long monologue)
-Je m’en vais me rafraîchir. Ainsi vous pourrez méditer sur tout cela. Je ne tarderai pas à revenir, pour que vous me fassiez partager votre pensée.
Epicure : (encore stupéfait par toutes les informations qui lui parviennent)
-C’est parfait ! À plus tard mon cher Schopenhauer !
Schopenhauer part, laissant Epicure à ses pensées.
Epicure : (se parlant à lui-même) : La réflexion de ce cher Schopenhauer, est extrême, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle est fausse.
Epicure poursuit sa réflexion. Plus tard, Schopenhauer le rejoint comme ils avaient conclu plutôt.
Schopenhauer : (s’assoit à côté d’Epicure d’un air intrigué)
-Alors ? Qu’en est-il de votre méditation ?
Epicure : (souriant à son ami)
-Avez-vous un peu de temps à me consacrer ? J’aurais quelques questions à ce sujet.
Schopenhauer :
-Bien-sûr ! Vous m’en voyez ravi.
Epicure : (avec un air interrogatif)
- N’hésitez point à me reprendre si je me méprends. Premièrement, d’après vous, l’être humain ressentirait uniquement le malheur, et c’est celui-ci qui serait à l’origine de notre bonheur ? Quelque chose doit m’échapper ! Le bonheur n’est-il pas un antonyme du malheur ?
Schopenhauer : (en rigolant)
-Ils sont effectivement opposés ! Néanmoins, j’appuie le fait que le malheur soit à l’origine du bonheur. Lorsque nous nous faisons mal, nous ressentons la douleur ! Or lorsque nous nous portons à merveille, comme en ce jour, nous ne ressentons rien. Cependant nous sommes heureux car nous sommes en bonne santé !
Epicure : (d’un air pensif)
-Effectivement, de ce point de vue-là, je donne mon accord à votre thèse... bien qu’il me semble que nous éprouvions à l’heure actuelle du bonheur à être en bonne santé tout en le sachant... Quoi qu’il en soit, n’avez-vous jamais été submergé par une forte émotion de bonheur face à l’annonce d’une bonne nouvelle ou d’un heureux évènement ? Dans cet exemple, le bonheur n’est en aucun cas créé par un malheur passé.
Schopenhauer :
-En effet, il y a comme toujours des exceptions. Mais si vous méditez sur les choses que nous ressentons, vous vous rendrez compte, que nous ressentons plus de malheur que de bonheur. Et que nous sommes en réalité heureux lorsque nous ne sommes pas dans une situation malheureuse, mais sans nous en rendre compte ! « Exceptio probat regulam in casibus non exceptis », C’est l’exception qui confirme la règle !
Epicure : (après quelques secondes de réflexion)
-Le fruit de votre réflexion est fondé sur des arguments solides ! Seule une personne sotte tenterait les réfuter. Aussi, le constat du malheur humain a été le point de départ de ma recherche.
Passons à mon deuxième point. Les grands esprits se rencontrent ! J’ai eu la surprise de constater que nos deux thèses s’accordaient parfaitement pour deux raisons. Nous avons tous deux trouvés que l’individu réalise qu’il est heureux uniquement lorsqu’il perd la chose qui lui apportait du bien-être. Ainsi nous adhérons également à l’idée que l’accoutumance au plaisir amène à ce que l’individu se lasse. Mais à l’inverse de vous, je pense que nous ne sommes pas impuissants face à ce problème.
Schopenhauer : (avec un grand entrain)
-Si deux philosophes de notre ampleur en sommes parvenus à cette réflexion, je peux donc affirmer qu’elle est irréfutable ! Et restons-en à cette idée !
Epicure : (en rigolant) :
-C’est le désir de tout philosophe que de trouver la bonne réponse à toutes les questions existentielles de la vie !
Schopenhauer : (en reprenant son sérieux)
-Assez plaisanté mon cher ! Poursuivez !
Epicure : (reprenant à son tour son sérieux)
-Avec plaisir ! Venons-en à mon troisième et dernier point. La sur-exploitation du désir mène à tenir un propos lénifiant sur le bonheur qu’il procure une fois assouvi, nous sommes en accord là-dessus ! Cependant comment pouvez-vous dire qu’il accroît le sentiment de souffrance ?
Schopenhauer :
-Je comprends votre interrogation face à ça, c’est le point le plus complexe de ma réflexion. Entendez, le bonheur n’est que le résultat du malheur. Le désir est un sentiment douloureux, si répondre à ce désir devient une habitude alors l’individu ne sera plus satisfait par celui-ci. Donc il souffrira de ne plus trouver le bien-être à travers la réponse à son désir. Par exemple, si mon désir le plus profond est de marcher dans un jardin silencieux, si je réponds à ce désir tous les jours pendant deux semaines. Ce désir sera devenu une habitude qui ne m’apportera plus le bien-être. Ainsi je souffrirai car mes futurs désirs seront plus difficiles à assouvir donc je resterai dans la souffrance. Est-ce plus clair maintenant ?
Epicure : (après quelques secondes de réflexion)
-Parfaitement ! Je me sens sot de ne pas avoir compris immédiatement ! Écoutez mon cher Schopenhauer, je qualifierais votre réflexion sur le bien-être, d’extrême, cependant je suis en accord avec vous sur celle-ci : ce que vous venez de dire correspond aux risques afférents à la satisfaction des désirs naturels qui ne sont pas pour autant nécessaires. Ils sont addictifs et peuvent entraîner les effets délétères que vous évoquez ! Mais marcher sur l’herbe est un plaisir qui ne s’éteint pas et ne diminue pas en étant réitéré : la sensation de fouler la terre procure un plaisir simple, conscient et merveilleux qui entretient de goût de vivre ! Je tiens également à vous remercier de m’avoir fait part de votre réflexion, et d’avoir permis d’approfondir la mienne ! J’espère que vous pourrez méditer mes propos…
Schopenhauer : (heureux)
-Je pense que c’est en réunissant nos esprits que nous atteindrons l’ultime vérité ! En s’accordant bien évidemment à des pensées égales à la nôtre ! Mais sûrement pas avec des stoïciens qui se proclament philosophes, en étant rationnels !
Epicure : (d’un air moqueur)
-Vous savez, très cher, qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être doté de beaucoup de matière grise.
Schopenhauer : (d’un air tout aussi moqueur)
-C’est hélas une triste vérité que vous m’annoncez là ! Epicure, je vous remercie pour votre temps accordé. Je vais vous laisser vaquer à vos occupations, mon ami.
Epicure :
-C’était avec plaisir très cher !
Schopenhauer se leva et quitta le jardin d’Epicure, tandis qu’un groupe d’élèves s’apprêtait à assister à un cours de celui-ci.
Julie, TES