Culture(S)

Atelier circassien et recherche de soi

Par Référent Culture, publié le mercredi 20 décembre 2023 10:50 - Mis à jour le mercredi 20 décembre 2023 11:22
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Des élèves suivant la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie ont bénéficié d’un atelier circassien en marge du spectacle Ali, vu à la Mouche. Touchant à la recherche de soi, spectacle et ateliers les ont conduits à explorer leur identité.

Incité.e.s à mettre en rapport les ateliers avec une citation de Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer, les élèves ont dû s’interroger sur le rôle du prénom de chacun et son jeu avec les expressions corporelles, sensorielles, émotionnelles provoquées, suscitées dans les ateliers.

Ainsi, il leur est apparu que les ateliers incitaient à s’approprier son corps, dans les jeux d’équilibre et de déséquilibre, de limites, de même que chacun doit aussi s’approprier son prénom. Donné par les parents, porteur de significations multiples, le prénom, comme le corps, exige une identification, provoque parfois le rejet, le retrait, la soustraction. L’exercice en duo du sculpteur et du sculpté leur est apparu comme l’obéissance due aux parents, la docilité. Mais il a fait apparaître la résistance possible. En même temps, que mon corps soit sculpté par un autre établit que mon moi est modifiable : la charge éventuelle imposée par les fantasmes ou les rêves des parents n’est pas une fatalité.

De même, le jeu de la sculpture révèle l’autre, celui qui me sculpte et me conduit à me demander si c’est moi qu’il voit comme il me sculpte, ou si c’est lui ou elle qu’il ou elle perçoit comme je suis sculpté.e. Le sculpté doit accepter d’être touché, parfois de façon brusque, et peut se sentir ramené à son état de bébé soumis à la bonne volonté de ceux qui le prennent dans leurs bras pour le déplacer. Ou même plus encore, je me sens revenu à la vie intra utérine où mon poids pèse et entraîne vers le sol alors que je vis dans une apesanteur. Les paysages de sculptures constitués par les sculpteurs ont fait apparaître une grande diversité de postures alors même que la consigne était unique. L’imaginaire affirme ici sa puissance. Et l’exercice du poids et du contrepoids est apparu comme une expérience corporelle étrange, où la complémentarité des corps, indispensable à l’équilibre total, donnait l’impression de constituer un nouveau corps qui n’aurait, lui, pas de prénom…

Mais alors quelque chose de la filiation se manifeste : la confiance nécessaire en l’autre pour pouvoir peser sur lui, se fier à lui et qu’il pèse sur moi et se fie à moi pour nous déplacer ensemble, « crapahuter » enseigne ceci : « sans l’autre, je tombe, et si je ne tiens pas l’autre, nous tombons tous les deux et c’est avec la considération de l’autre que je me considère moi-même. » Nous devons, chacun et ensemble, trouver le moyen de nous déplacer en poids et contre-poids et à partir d’une base commune, les groupes inventent de multiples modalités de déplacement. Nous venons, à partir de la même difficulté initiale, trouver notre équilibre. A nouveau, nous percevons les singularités sur fond commun. Et de même que le corps se fait support d’un nouvel être, de même le prénom aussi se charge de nouvelles connotations au gré des rencontres, des découvertes, des interactions. La prise de risque physique se fait image de la prise de risque de tout engagement. Et le poids et contre-poids fait expérimenter la nécessité de s’adapter à l’autre, comme chacun s’adapte aussi à son prénom, peut le rejeter, vouloir en changer si ce dont il est porteur ne convient pas, en termes de genre, de valeur symbolique, de rappel du passé etc…

Faisant le lien entre filiation et projet, la proposition du jeu de mains dans un carreau défini a ramené les élèves en enfance : les limites figurent les principes éducatifs qui bordent l’éducation puis le souvenir des inventions mimées avec les mains, des jeux de devinette, source de l’imaginaire inconscient libérée dans cet exercice, apparaît. Les échanges qui ont suivi pour que chacun effectue sa propre narration révèlent qui l’on est, des traits de personnalité, la fantaisie personnelle. Cette invention poursuivie a été vécue comme le précurseur du projet final : il rassemble toutes les espérances de l’atelier circassien comme le prénom rassemble tous les possibles. J’évolue, je grandis sans cesse, la poursuite des ateliers montre que je ne suis pas fixé.e. De même, le prénom n’est pas une identité fixe mais « l’ensemble des forces qui [nous] poussent à [nous] inventer. » Faire le miroir de l’autre rappelle qu’on a joué devant les miroirs, continuer la gestuelle de l’autre rend manifeste la construction de soi par l’imitation qui invente, être sculpté.e prouve que je suis modifiable : au final, nous parvenons aussi à mieux comprendre les autres.