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Peut-on être heureux sans le savoir ? acte 3

Par NATHALIE BIESSY, publié le dimanche 17 mai 2020 18:17 - Mis à jour le dimanche 17 mai 2020 18:50
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Dernière contribution d'une classe du lycée à la réflexion intempestive sur le bonheur : courons-nous toujours après de nouveaux plaisirs ou savons-nous apprécier les biens matériels et immatériels auxquels nous nous donnons accès ?

 

-Schopenhauer : Et bien mon ami pourquoi souris-tu ainsi ?

 

-L’érudit : Je viens de recevoir une lettre d’une personne que je n’ai pas vue depuis des années, et, comme tu peux le constater, j’en suis fort heureux.

 

-Schopenhauer : Ah bon ? Mais es-tu sûr d’être heureux ?

 

-L’érudit: Comment ne pas l’être, j’apprécie grandement cette personne et puis j’ai conscience de mon bonheur.

 

-Schopenhauer : Mais peut-on vraiment être heureux et avoir conscience de son bonheur ?

 

-L’érudit : Comment veux-tu que cela soit possible ?

 

danaïdes-Schopenhauer : A mon avis, on peut ne pas avoir conscience de son bonheur et être heureux, puisqu’on ne ressent pas l’absence de douleur. En effet nous sentons la douleur, mais non l’absence de douleur, nous ressentons le souci mais pas l’absence de souci, la crainte mais pas la sécurité. Donc nous nous concentrons uniquement sur les émotions négatives et sur le manque de plaisir que nous éprouvons.  Nous désirons ; quand nous sommes malheureux ou que nous souffrons, nous désirons être heureux, de la même manière que lorsque nous avons soif ou que nous sommes affamés, nous désirons boire et manger. Nous ressentons donc un manque et c’est ce qui nous pousse à essayer d’être heureux. Mais à l’inverse nous ne ressentons pas lorsque nous sommes heureux, puisque notre conscience se focalise toujours sur ce dont nous manquons. Nous cherchons constamment à posséder quelque chose de nouveau, à répondre à un autre de nos désirs.  On peut dire que le bonheur est négatif, dans le sens où nous n’avons pas conscience d’être heureux. Et cela s’explique par notre envie constante de répondre à de nouveaux désirs.

 

-L’érudit : Pourtant quand tu manges après avoir été affamé, n’éprouves-tu pas du plaisir ?

 

-Schopenhauer : Certes, mais si ce plaisir devient une habitude, il n’est plus éprouvé comme tel. Écoute, le fait que l’on accède constamment au plaisir n’est pas une bonne chose, car premièrement on ne peut pas le mettre en comparaison avec la douleur et l’absence de plaisir. Le plaisir devient alors une normalité et on ne ressent plus la même chose qu’auparavant.  C’est comme lorsque nous aimons énormément le gâteau par exemple.  Lorsque tu en manges rarement, tu ressens un plaisir immense à en pouvoir en manger. Mais si tu en manges tout le temps, le plaisir va devenir de plus en plus fade, tu vas te lasser et cela peut mener à du dégoût. Donc le plaisir de manger du gâteau n’est plus.

Pour pouvoir ressentir du plaisir il faut que tu le désires et qu’il soit accompli, car si tu le désires seulement, tu n’es pas heureux puisque tu es en manque.

L’Homme oscille donc entre plaisir et la douleur. Et donc le plus grand paradoxe de sa vie est qu’une fois le plaisir atteint, une fois qu’il est heureux, que la douleur a disparu, il cherche à retourner vers elle pour à nouveau s’en écarter.

Donc tu ne peux pas vraiment dire que tu es heureux mais que tu l’étais, car tu ressens seulement le malheur, puisque ton ami te manque et que ces nouvelles te manquaient, mais maintenant ton désir a été accompli, tu attends à nouveaux de ses nouvelles et tu cherches à retrouver ce désir. Nous sommes toujours en quête de nouveautés et de nouvelles satisfactions.

 

-L’érudit : Oui je comprends ton point de vue. Mais on peut dire que l’on peut être heureux grâce à l’ignorance donc sans avoir conscience de son bonheur. Comme le fait d’une personne qui n’a pas connu la guerre et les souffrances qu’elle engendre. Dans ce cas-là, elle n’a pas forcément conscience du bonheur qu’elle a de vivre dans un pays en paix.  A l’inverse, dans certains cas, on peut être malheureux alors que pourtant on aurait toutes les raisons d’être heureux.  Dans ce cas-là aussi on n’a pas conscience de son bonheur et on ne voit que son malheur.

 

-Schopenhauer : Mais souvent dans ces cas-là, on n’éprouve aussi plus de désir, ou alors des désirs négatifs où on ne cherche pas à être heureux mais malheureux.

 

-L’érudit : Cependant, si on se place du point de vue d’Épicure, ta théorie est impossible. Pour lui vivre, c’est ressentir, à partir du moment où nous ne ressentons plus rien, nous sommes morts. Donc si nous ne ressentions pas lorsque nous sommes en paix, ou calmes cela voudrait dire que nous serions morts. De plus, contrairement à toi, il classifie les désirs. Premièrement il distingue les désirs naturels et les désirs vains. Les désirs vains sont non réels, c’est à dire vides et conduisent au malheur, par exemple le désir d’immortalité. Ils conduisent au malheur car on ne peut jamais les atteindre, on souffre donc du manque. Les désirs naturels sont soit naturels seulement, soit nécessaires. S’ils sont naturels seulement, on peut les satisfaire mais il faut faire attention à ne pas en devenir dépendant ou en abuser. Épicure fait donc l’éloge de la frugalité, car comme toi il dit que le plaisir est plus grand s’il est plus rare, mais aussi que par la frugalité on s’assure de ne pas être stressé par le manque et nous ne sommes pas stressés face aux événements extérieurs. On peut donc, selon Épicure, atteindre le plaisir qu’il procure sans forcément tomber dans une certaine forme de dépendance à en vouloir toujours plus et à en satisfaire de nouveaux. Les désirs nécessaires quant à eux, peuvent être nécessaires à la vie : manger, boire, dormir… Nécessaire au bien être, comme avoir une certaine hygiène de vie et faire du sport par exemple. Enfin les désirs nécessaires au bonheur, et dans ce cas-là il s’agit de philosopher, car la philosophie permet de défaire les mauvais liens entre les causes et les conséquences et donc d’apporter la vérité. La vérité nous permet quant à elle d’être plus sereins au moment présent mais aussi face aux événements futurs.

On peut ajouter aussi qu’Épicure considère que la finalité de la vie est le bonheur, et cela passe par le plaisir.  Le plaisir c’est ce que tout être vivant vise et ce par quoi il va s’accomplir. Cependant il ne faut pas confondre les plaisirs catastématiques et les plaisirs qui viennent apporter des troubles de l’âme et la douleur plutôt que le bonheur.  Ceux qui s’adonnent à cela, sont dans l’excès et deviennent dépendants, ce qui les conduit au malheur au lieu du bonheur.  Contrairement à ta théorie, l’Homme à un contrôle sur lui-même, il peut résister et ne pas simplement suivre le moindre de ses désirs et osciller entre douleur et plaisir tel un pendule.

 

-Schopenhauer : Oui, mais l’Homme n’a pas toujours conscience de ce qu’il fait et ne peut pas toujours avoir conscience de la portée de ses actions, un peu comme l’effet papillon.

 

-L’érudit : Mais il a conscience de lui-même et de ce qu’il ressent, de la même manière qu’il apprend, lorsqu’il est enfant, qu’il est dangereux de s’approcher du feu car cela brûle. Il apprend aussi que se priver peut être parfois bon, ne pas manger directement un bonbon ou une friandise, mais le garder pour plus tard. L’Homme ne cesse d’apprendre, et continue un peu chaque jour à progresser. Il se sert de ses erreurs et des événements passés, pour construire son futur. C’est pour cela d’ailleurs que l’on enseigne l’histoire aux enfants, afin que les générations futures ne reproduisent pas les erreurs du passé. L’Homme a donc naturellement un certain contrôle sur ses actions et sur lui-même. Par sa volonté, et notamment celle de s’améliorer et de devenir quelqu'un de « bien ». Cette volonté qui est présente dans la plupart d’entre nous. Il a donc conscience de ses émotions et donc du bonheur et il sait que certaines actions le conduisent à être heureux.

 

-Schopenhauer : Cependant, ta théorie a ses limites puisque la bêtise humaine persiste, même s’il sait que la guerre entraîne de la tristesse, des morts et d’autres choses mauvaises, il continue de guerroyer. Il n’a donc pas conscience de ce qu’il fait ou alors il ne désire pas en avoir conscience et agit seulement pour assouvir ses désirs de conquête, de pouvoir et de puissances. Il peut donc tout à fait être heureux sans avoir conscience des causes de son bonheur, s’il ne désire pas en être conscient.

 

-L’érudit : Mais on peut affirmer que l’on ne peut savoir ce qu’est le bonheur et le fait d’être heureux, si l’on n’a pas connu la douleur et le fait d’être malheureux. Une émotion positive est toujours mise en comparaison avec une émotion négative. Si l’on demande à un enfant ce qu’est la joie, il y a de fortes chances qu’il nous réponde que c’est lorsque nous ne sommes pas tristes. Ceci est donc une autre preuve que l’homme ne peut être heureux sans avoir conscience de son bonheur, puisqu’il sait au minimum pourquoi il n’est pas malheureux. C’est donc grâce à notre capacité à mettre en comparaison les choses et nos expériences que nous pouvons avoir conscience de notre bonheur, en le mettant en comparaison avec des événements passés où nous étions sûrs qu’il était absent.

 

-Schopenhauer : Oui,  il est difficile de remettre cela en question, toutefois j’espère que ton amie t’annonce de bonnes nouvelles dans cette lettre.

 

-L’érudit : De ce que je viens de lire, elles le sont, nous continuerons notre débat plus tard, je m’en vais de ce pas lui répondre.

Thomas, TES